Se détacher ? S'arracher ? Partir...

Et tenter de fixer quelques bribes de mon paysage quotidien, fait de regards et de visages anonymes, de riens, de beautés non-voulues.

Cette femme va me manquer, elle dont je ne sais rien, mais dont le regard, le sourire me subjuguent...

Dans quelques mois, toute cette ruelle de la porte Ouest va disparaître, ainsi que les visages qui la peuplent... Tous ces bouts d'histoires, des souvenirs en suspension, bientôt démolis avec la pierre qui les soutient. Je ne suis pas chinoise, ces gens ne sont pas de ma famille, et pourtant, je fais partie moi aussi un peu de ces murs, et une grande mélancolie m'étreint à l'idée de les quitter, à l'idée qu'à mon retour, tout aura disparu, dévoré par de nouveaux murs, froids, sans âme. 

 

Et quelle est attachante ma 老美女_Lao Meinv !! Chaque fois qu'elle me voit, elle me tend une cigarette, en signe de sympathie. J'achète mes fruits, et je la vois, hiératique, fumant sa cigarette, comme dans un film des années 30, charismatique, statue antique, l'oeil toujours amusé, le sourire presque mutin parfois, et  à travers lequel je vois en transparence la très jeune fille qu'elle fut. Qu'elle a dû être belle autrefois ! Avec ce regard plein d'une pénétration toute féminine, et ce sourire tantôt candide, tantôt enjôleur, tantôt rusé.

Je lui ai dit aujourd'hui que je rentrais en France la semaine prochaine... J'ai cru voir ses yeux se noyer de tristesse. Il m'a fallu vite rentrer chez moi car mon sourire allait bientôt s'évanouir... Annoncer ce départ, constater le chagrin de ma belle complice, et voilà que je prends brutalement conscience du choc...  


Je vais quitter la Chine, alors que je pensais m'y installer.